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Le joujoueb de Froidich

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Home. L'Enfant Vieux

--> Compo de français

Jusqu’au bord de ta vie

Tu porteras ton enfance

Ses fables et ses larmes

Ses grelots et ses pleurs

Tout au long de tes jours

Te précède ton enfance

Entravant ta marche

Ou te frayant un chemin.

(Andrée Chedid)

 

 

 

Home : L’Enfant Vieux.

 

Vue de dehors, cette résidence pour retraités paraissait tout à fait normal, mais de l’intérieur, mis à part le hall d’entrée, tout était différent. Deux gardes armés de matraques se postaient fièrement devant les deux portes qui menaient dans les différentes salles de la résidence. Dans le hall, la secrétaire épluchait des dossiers de candidature et remplissait des formulaires d’inscription, il faut dire que tout le monde ne rentrait pas dans " l’enfant vieux ". Le directeur avait réussi à donner une excellente réputation à son établissement et beaucoup de demandes étaient formulées chaque jour.

La plupart du temps une lettre d’excuse était envoyée à la famille expliquant que l’établissement était complet et que de nouveaux pensionnaires ne pouvaient pas être acceptés pour le moment mais que le patriarche de la famille serait redirigé vers un établissement situé le plus près possible de l’habitation familiale.

Les personnes qui rentraient dans " l’enfant vieux " devaient posséder certains critères : Ils devaient avoir un minimum de vitalité, mais surtout ils devaient avoir quelque chose de mystérieux. Pour beaucoup, les pensionnaires étaient des handicapés mentaux, d’autres étaient artistes mais il n’y avait pas de critères fixes, c’était toujours le directeur assisté de son comité de décision qui prenait le choix final de l’acceptation ou non de l’individu dans l’établissement. Le comité de décision était constitué de pédagogues, médecins et de psychologues réputés et la décision se faisait toujours après un entretien avec la personne en question.

Jonas était pensionnaire depuis plus de 20 ans. Quand il était entré, à l’age de 85 ans, les médecins avaient présenté un dossier parfaitement acceptable puisque quelques problèmes cardiaques et sa trisomie mis à part, il était en bonne santé et débordant d’énergie.

Jonas n’avait pas mis beaucoup de temps à s’habituer aux traitements psychologiques qu’imposent les médecins à tous les pensionnaires de ce home. La plupart mettaient près de 2 ans à intégrer parfaitement le traitement appelé " fontaine de jouvence ", mais il avait suffi de 4 mois à Jonas pour acquérir le traitement de sa totalité.

 

 " La fontaine de jouvence. C’est ainsi que se prénommera le traitement que subiront nos cobayes " disait le directeur. " J’aime bien ce nom, et il décrit tout à fait le projet confidentiel que je vais tenter de mettre au point avec l’accord et le soutien du ministre de l’éducation et ce pour autant que je sache garder cela secret. Voyez-vous, cher gendre, je vais engager des médecins, des psychologues… plein de spécialistes qui m’aideront dans ma tâche, dans notre tâche si vous le voulez bien. Je ferai de vous mon sous-directeur, vous m’épaulerez pour tout ce qui est de l’administratif : les éventuelles réunions avec la presse, avec les politiciens et autres personnels de sécurité. "

" Mais en qu’est-ce que le projet prévoit exactement ? " Répondit Georges.

" Eh bien, il s’agit d’un pensionnat pour retraités dont le but sera de faire retomber ces vielles personnes en enfance afin qu’il puisse jouir de leurs dernières années comme l’auraient fait des enfants c’est à dire en s’amusant et en ne se souciant plus des petits ennuis de la vie. Il paraîtrait selon un de mes chercheurs que cette méthode guérissent assez bizarrement les problèmes médicaux liés à la vieillesse et rallonge la vie de près de dix pour cent en moyenne. Mais il s’agit pour l’instant d’un projet assez vague, je n’en saurai plus que lors de ma réunion avec les spécialistes "

 Jonas avait une compagne de chambre depuis peu. Un écrivain, elle avait été placée dans la chambre de Jonas afin d’apprendre comment Jonas avait pris connaissance et comment il utilisait les méthodes enseignées dans l’établissement. Son nom était Marjorie, elle avait 63 ans mais elle n’arrivait pas à s’adapter, à se dévergonder suffisamment et elle s’ennuyait la plupart du temps. Elle réussissait cependant à dissimuler quelques feuilles quand les autres pensionnaires faisaient des dessins et à les mener jusqu’à sa chambre sans que les accompagnateurs ne s’en rendent compte et ainsi, tous les soirs elle rédigeait un journal intime qui expliquait ses relations avec les " vieux enfants " et en particulier les discussions du soir qu’elle partageait avec Jonas.

 "Prague, le 18 janvier 1948.

 Comment ai-je pu atterrir ici ? Certes tous ces gens parviennent à se divertir dans ce pensionnat même si certains paraissent faire semblant de s’amuser avec ces jeux d’enfants, mais je ne me vois vraiment pas pouvoir un jour accéder à leur mentalité.

Jonas, mon compagnon de chambre est l’individu qui m’interpelle le plus, il paraît réellement être un enfant d’une centaine d’années. Il parle comme un enfant, il a complètement perdu l’utilisation des mots que les " grandes " personnes utilisent dans la vie courante. Les seuls mots qu’il semble connaître ou qu’il semblait connaître avant mon arrivée n’avait de rapports qu’aux jeux, à la nourriture, la boisson, le repos ou la toilette. Cependant mon arrivée a changé quelque peu la donne, et les responsables semblent ne pas trop m’apprécier pour cette raison. J’ai réussi à apprendre quelques mots et un peu de mon savoir rationnel à ce vieil homme. Pourquoi fais-je cela ? Je ne sais pas exactement. Cet homme a quelque chose qui me plait, je sens qu’il pourrait s’épanouir s’il n’était pas conditionné pour être un enfant. "

 

 

 

 

 

" Prague, le 13 février 1949.

Les rapports entre Jonas et moi sont devenus beaucoup plus compréhensibles. J’ai compris sa manière de vivre et m’en inspire de plus en plus. Peut-être que le directeur avait raison et que petit à petit j’allais m’adapter à la vie dans le " vieil enfant ". Cependant Jonas aussi a changé, il n’est plus l’enfant qu’il était il y a une année, et je pense en être responsable. Nous nous sommes mutuellement influencés et l’on pourrait tout deux nous comparés à des adolescents. Lui m’a donné la possibilité de m’amuser comme un enfant et moi je lui donne mes pensées rationnelles et lui apprend, ou plutôt lui réapprend des mots qu’il n’utilisait plus. "

" Prague, le 15 février 1949.

Hier, c’était la Saint Valentin, j’ai appris à Jonas toute la signification de ce jour ainsi que des précisions sur l’amour. Et finalement ce que je redoutais est arrivé : nous avons couché ensemble. J’ai parlé l’autre jour de notre " état d’adolescents ", c’était exactement cela, nous avons fait l’amour comme deux adolescents inexpérimentés. J’ai de plus en plus peur pour Jonas. Il devient incroyablement autonome mais je crains pour lui car, après avoir surpris une discussion entre deux médecins, et après avoir compris qu’il parlait de Jonas, je me suis rendu compte que ses problèmes cardiaques l’avaient rattrapés et qu’une attaque devait être à prévoir prochainement. D’après les médecins, c’était dû à son âge, il leur paraissait normal que le temps, et malgré le traitement qu’il avait reçu et qui lui avait permis de guérir presque totalement ses problèmes de cœur, l’avait maintenant rattrapé. "

Mais un jour, Jonas s’échappa de l’établissement où il avait passé une partie de sa vie. Etait-ce la fin, ou le début d'une vie ? Il n’en était pas sûr. Dans sa tête, il avait la sensation de repartir à zéro car même s’il ne se souvenait pas de tout ce qu’il s’était passé dans sa vie, il se souvenait clairement de l’année passée, celle qu’il avait vécue avec Marjorie, celle où il avait réappris ce qu’était la vie. Il pouvait maintenant l’expérimenter. Mais après avoir escaladé la barrière, Jonas avait ressenti une douleur foudroyante dans la poitrine. Il marchait maintenant le long de la rue respirant et admirant la vie. Quand il arriva au bout de la rue, la main sur le cœur, Jonas s’écroula.

Ecrit par froidichou, le Mercredi 15 Février 2006, 21:58 dans la rubrique "Petit coup de gribouille".

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